L’entropie évoque les limites biophysiques au déroulement d’un progrès matériel indéfini, qui sous-tend les illusions de la croissance économique perpétuelle et des idéologies développementalistes. Il évoque également les effets socio-environnementaux néfastes de tout projet civilisationnel qui ignore cette dimension de la physique thermodynamique. L’envers de la profusion énergétique qui traverse les imaginaires de la modernité industrielle se matérialise par la dispersion entropique de la chaleur, qui tend à augmenter avec le temps. L’entropie est une loi anti-moderne, dans la mesure où elle remet en cause l’image du progrès productif exponentiel et de la richesse sociale. Les effets inexorables de l’entropie représentent l’antithèse des prétentions de l’industrialisme, cette vision du monde selon laquelle le destin du cosmos consisterait à canaliser son énergie au profit du bien-être humain. Comme un courant de fond, l’entropie impose la force de dissipation comme une flèche temporelle. L’énergie disponible pour un travail utile diminue irrémédiablement avec le temps. L’entropie échappe donc à la volonté de l’homme anthropocène qui, dans son désir de contrôler le cours de la nature, ne fait qu’accélérer les tendances au désordre.
L’épuisement du travail humain ou l’épuisement des sols ont marqué l’imaginaire du XIXe siècle comme des signes d’entropie. Depuis lors, le capitalisme n’a cessé d’aller de l’avant par un processus expansif de marchandisation de la nature. Aujourd’hui, les processus d’accumulation du capital sont suspendus dans l’air comme un tourbillon en apesanteur qui s’empare constamment des sources d’énergie primaire. La tendance à la financiarisation de l’économie, à laquelle le néolibéralisme est souvent associé, se superpose à l’expansion de l’appropriation des gisements d’énergie et de minéraux, un processus qui pourrait se heurter à sa limite historique.
D’autre part, les manifestations passées et présentes de l’entropie dans le corps des travailleurs apparaissent comme des symptômes de résistance à la valorisation capitaliste, mais aussi comme des expressions psychiques du malaise. La fatigue physique et la neurasthénie libidinale, associées aux débuts du capitalisme industriel, ont fait place à toute une série de troubles psychosociaux tels que la fibromyalgie, la fatigue chronique, le déficit d’attention, l’épidémie d’anxiété ou ce mélange de principe de plaisir et de pulsion de mort que Mark Fisher appelle « hedonia dépressive » : la manière dont nos rapports avec les appareils technologiques favorisent une forme compulsive de satisfaction du désir qui génère à son tour une frustration constante – par exemple, le besoin de consulter sans cesse les courriels ou les médias sociaux. Parfois, la dépression n’est plus tant liée à l’absence de désir qu’à sa mise en œuvre par l’affichage narcissique en ligne et la génération gratuite de données accumulées par les entreprises du capitalisme informationnel.
Face à ces inerties historiques, imaginer la culture en dehors du paradigme énergétique industriel doit prendre en compte la dimension entropique du cosmos et de l’existence humaine. Non pas pour s’abandonner à son inertie catastrophique, comme les scientifiques du XIXe siècle en avaient l’intuition en l’associant à la mort thermique de l’univers, mais pour en atténuer autant que possible les effets.
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