Qu’est-ce que la biennalisation ? L’article interrogateur de Simon Sheik, publié dans le magazine Humboldt en 2011, exposait des réflexions et des questions qui sont toujours au cœur du débat. En effet, hier comme aujourd’hui, la question ne trouve, ni une réponse facile, ni une réponse unique, la biennalisation étant un phénomène hétérogène et mouvant.

À la fin des années 1990, dans un Berlin nouvellement unifié, Gerhard Haupt a inventé ce terme pour désigner la multiplication des biennales et l’omniprésence de certains artistes et commissaires, indépendamment des caractéristiques du lieu et de la singularité de la méga-exposition. En 1997, cette fois en Italie, des exposants des biennales de Venise, São Paulo, Istanbul, Dakar, Perth, Pittsburg, Costa Rica, La Havane, Austin, Sydney, Bangkok et Johannesburg se réunissent lors d’une rencontre organisée par la Fondation Rockefeller. L’objectif était d’étudier et de discuter « l’essor et la prolifération des large-scale international exhibitions ». À cette occasion, la diffusion du modèle a été perçue comme positive, à tel point que Okwui Enwezor, qui a participé à l’événement, a souligné qu’il offrait la possibilité d’opérer un « changement de paradigme ».

Cartoon: Olav Westphalen, 2000

Peu de temps après, en 2001, la Revista de Occidente a publié un texte d’Ivo Mesquita qui commençait par une liste apparemment infinie de biennales. En quelques lignes, le curateur pauliste a passé en revue les cinq continents et a terminé en se demandant si les biennales étaient redondantes ou entropiques. Ces années-là, se déroulait l’événement-cadre des Biennials in Dialogue (2000-2008), une série de congrès qui reliaient l’Europe, l’Asie et l’Australie. Le premier a été illustré par le dessin animé « What our village now needs is a biennial! » : un homme, avec une ville détruite derrière lui, délivre le message retentissant à la caméra. Le dessin d’Olav Westphalen capture les sogni e conflitti de la biennale. En effet, la toile de fond de la phrase prononcée par l’homme est d’une complexité écrasante : du rêve révolutionnaire de la Biennale de La Havane (1984) à l’effet de cascade de la Documenta (2002), en passant par les répliques vénitiennes de São Paulo (1951) et de Sydney (1973) et la biennale-parodie de Maurizio Cattelan (1999).

Stewart Smith, Robert Gerard Pietrusko, Bernd Lintermann, trans_actions: The Accelerated Art World 1989-2011, 2011

Qu’est-ce que la biennalisation ? : une redistribution démocratique du pouvoir culturel ou une nouvelle forme de colonisation occidentale, la répétition par inertie d’un modèle ou un défi pour offrir de nouveaux espaces et temporalités ? La dichotomie est intrinsèque au concept dans la mesure où le phénomène même qu’il décrit fonctionne de deux manières. D’une part, elle contribue à la perpétuation d’un modèle dominant, tout en le remettant en question ; d’autre part, elle remet en cause le système, tout en le répétant et en l’affirmant.

Bibliographie

Enwezor, O. (2003/2004), «Mega-Exhibitions and the Antinomies of a Transnational Global Form», MJ. Manifesta Journal: journal of contemporary curatorship, 2, pp. 94-119.

Funcke, B. ed. (2001), 6th Carribean biennial, Dijon, Les presses du réel

Gardner, A., Green C. (2017), «Post-North? Documenta 11 and the Challenges of the “Global Exhibition” », OnCurating, 33, pp. 109-121.

Gardner, A., Green, C., eds., (2016), Biennials, Triennials and documenta : the exhibitions that created contemporary art, JohnWiley & Sons Inc., Hoboken.

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Marchart, O. (2008), Hegemonie im Kustfeld. Die documenta-Ausstellungen dX, D11, d 12 und die Politiki der Biennalisierung, n.b.k. Diskurs, Band 2 (Hg. Mairus Babias), Colonia, pp. 7-13.

Mesquita, I. (2001), “Bienales, bienales, bienales, bienales, bienales, bienales”, Revista de Occidente, 238, pp. 31-36.

Niemojewski, R. (2021), Biennials: The Exhibitions We Love to Hate, Lund Humphries, Londres.

Sassatelli, M. (2016), «The biennalization of the art worlds. The culture of cultural events» en Laurie Hanquinet, Mike Savage, eds., Routledge International Handbokk of the Sociology of Art and Culture, Toutledge, Londres / Nueva York, pp. 227.

Sheik, S. (2011), « Qué es la bienalización? Notas sobre la mediación cultural de las finanzas globales y la producción del capital cultural global», Humboldt, 156, pp. 41 – 44.