CFP – Fièvre des archives dans l’exposition : intertextualités critiques, politiques et pratiques de display entre la Guerre froide et la contemporanéité globale

En 2020 a eu lieu Le muse inquiete. La Biennale di Venezia di fronte alla storia [Les muses inquiètes. La Biennale de Venise face à l’histoire],une exposition conçue comme un moment de réflexion sur l’histoire plus que centenaire de la Biennale de Venise. À partir du matériel conservé par l’ Archivio Storico delle Arti Contemporanee (ASAC) et du dialogue avec d’autres fonds documentaires, l’exposition enseignait (autant qu’elle construisait) comment l’histoire de la Biennale s’est connectée aux processus de transformation sociaux, culturels, artistiques ainsi que géopolitiques (Alemani, 2020). D’une part, cette proposition curatoriale rendait ainsi explicite la relation entre les archives et les expositions comme un processus dialectique, dans lequel les documents supportent l’exposition tout en y étant également activés et réinterprétés. D’autre part, elle mettait en évidence la complexité à plusieurs niveaux de toute exposition et, par conséquent, la nécessité de l’aborder à partir d’une pluralité de perspectives analytiques.

Le muse inquiete s’est inscrite dans un réseau dense de débats autour de l’art, de l’exposition et de l’archive qui, au tournant du siècle, a donné forme à ce que l’on appelle le « tournant archivistique » (Foster, 2004 ; Merewether, 2006). En parallèle des pratiques artistiques qui adoptent des stratégies documentaires ou de recherche, les expositions qui problématisent la question de l’archive, que ce soit comme instrument de pouvoir, comme matériel d’exposition ou comme champ de réactivation à travers le reenactment d’expositions emblématiques, se sont multipliées (Arantes, 2016 ; Baldacci, 2017 ; Maiorino ; Mancini ; Zanella 2022 ; Jansa, 2009). La persistance de la dynamique archivistique montre que l’archive s’est imposée comme un outil critique, capable de générer des frictions face aux discours hégémoniques et de construire de nouveaux récits.

En réactivant la célèbre proposition d’Okwui Enwezor sur la « fièvre des archives » (2008) dans l’art contemporain, nous proposons de questionner à nouveau les archives et leurs tensions, mais cette fois-ci depuis le champ de l’exposition. Il existe, en effet, un lien indissoluble entre l’archive et l’exposition : il n’y a pas d’exposition sans archives, mais il n’y a pas non plus d’archives sans exposition. D’une part, les archives précèdent l’exposition puisque celle-ci se configure à partir de la recherche qui la rend possible ; d’autre part, les documents produits pour l’exposition élargissent et enrichissent la collection qui l’a formée (Toccafondi, 2014). De cette façon, l’archive précède mais survit également à l’exposition, témoignant (et préservant) le temps dilaté, fragmenté et complexe qu’elle active.

En parallèle, loin d’être un réceptacle passif de documents, les archives sont un champ traversé par des relations de pouvoir, dans lequel se sont naturalisées les manières de voir, de raconter et de se souvenir depuis des perspectives coloniales, patriarcales et oppressives (Foucault, 1969 ; Membe, 2002). Face à elles, les expositions peuvent fonctionner comme des espaces d’intervention critique, capables de construire des réseaux transnationaux de solidarité et lutte, ainsi que de mettre en évidence (et de défaire) la violence des archives. En outre, elles peuvent agir comme des dispositifs qui désarticulent leurs logiques et produisent de nouvelles significations par le biais de la relecture et du display. Dans ce processus, les expositions peuvent aussi devenir un espace pour (re)imaginer le commun : un lieu pour se réapproprier la mémoire conservée dans les archives, mais aussi pour questionner et contester les récits hégémoniques afin d’ouvrir des possibilités de réécriture et d’histoires potentielles (Azoulay, 2010 et 2019).

De plus, étudier les expositions à partir de la documentation archivistique peut apporter de nouvelles perspectives si on considère qu’elles sont des « intertextes situés » : elles n’existent pas de manière isolée mais sont liées à d’autres discours, contextes et significations, au point de rassembler des forces qui dépassent le cadre strictement esthétique et incluent des dimensions politiques, historiques, sociales et culturelles (Ferguson, 1996). D’autre part, les expositions sont des espaces de sociabilité dans lesquels se réunissent des artistes, des critiques, des curateurs, des historiens de l’art et des publics ; et dans lesquels se projette le système de relations personnelles, institutionnelles, politiques et économiques qui constitue le domaine de l’art (Fernández López, 2020). En ce sens, les archives enregistrent non seulement la matérialité de l’exposition et le contexte historique et géopolitique dans lequel elle s’inscrit mais préservent aussi sa dimension relationnelle, fournissant des clefs pour comprendre l’exposition comme un fait complexe et situé. Par conséquent, la composante artistique est seulement l’un des nombreux éléments qu’il faut interroger pour atteindre une pleine compréhension des expositions.

Répondant aux réflexions développées dans le cadre de la plateforme internationale de recherche Modernité(s) Décentralisée(s) au cours de la dernière décennie, ce symposium souhaite étudier les expositions en tant qu’« intertextes situés » de la Guerre froide jusqu’à nos jours. En effet, loin de rester en marge des tensions de leurs contextes historiques, sociaux et géopolitiques, les expositions ont fonctionné comme des dispositifs de médiation, de dénonciation et de revendication, construisant des récits et positionnements conscients face aux tensions de leur époque. En particulier, nous invitons les doctorant.e.s et post-doctorant.e.s à réfléchir aux expositions à partir des archives et des histoires conservées des deux côtés de l’Atlantique, appréhendé comme un espace réel et imaginaire traversé par des relations culturelles et politiques (Barreiro López, 2019).

Ce symposium propose d’aborder la relation intrinsèque entre les expositions et les archives depuis une multiplicité de perspectives analytiques. En premier lieu, il cherchera à réfléchir aux expositions et aux archives comme structures interdépendantes et en constant dialogue, qui configurent l’histoire des expositions et qui se transforment aussi mutuellement au fil du temps. En parallèle, il faudra discuter des différents strates (artistiques, culturelles, sociales, historiques, politiques et économiques) qui configurent une exposition et de la manière dont celles-ci sont imbriquées et révélées au travers de la documentation d’archives. En outre, le symposium questionnera la façon dont l’étude des expositions depuis et avec les archives permet d’élargir leur compréhension et d’activer une mobilisation constante des significations, capable de favoriser les processus de (dé)construction critique et de (ré)écriture historiographique. Enfin, il invitera à explorer la manière dont les expositions ne se contentent pas d’exposer les archives, mais les réactivent, leur donnent de nouvelles significations et les projettent dans de nouvelles formes de mémoire, d’histoire et d’avenir , le display étant un élément central de cet exercice.

Les thèmes possibles pour la présentation des communications incluent, sans s’y limiter, les axes thématiques suivants :

1. les expositions et leurs archives comme vecteurs et témoins des tensions de la Guerre froide et de la mondialisation ;

2. l’archive comme espace de (dé)construction critique de l’histoire des expositions ;

3. méthodes et défis de la recherche sur les expositions à partir des archives dispersées, informelles et incomplètes ;

4. les tensions, résonances et réciprocités entre archives et expositions ;

5. le rôle du display dans l’activation et la re-signification des archives dans l’exposition ;

6. études de cas centrés sur les archives d’expositions spécifiques ;

7. la (re)écriture historiographique par le biais des expositions et des fonds documentaires ;

8. la matérialité des archives et leur mise en scène dans l’exposition ;

9. les expositions comme actes solidaires, politiques et de lutte.

Soumission des propositions
Le symposium aura lieu les 4 et 5 décembre 2025 à l’Université Toulouse II – Jean Jaurès.
Les langues officielles sont le français et l’anglais.
Les personnes souhaitant participer devront envoyer un résumé de 500 mots, accompagné d’une brève biographie, avant le 6 juillet 2025. Les propositions doivent être envoyées à anita.orzes@univ-tlse2.fr,avec pour objet du courrier : « Conf_Fièvre des archives dans l’exposition».

Organisation
Symposium organisé dans le cadre de la plateforme internationale de recherche Modernité(s) Decentralisée(s) et de l’Atelier “Images du Commun” du Laboratoire FRAMESPA, Université Toulouse II – Jean Jaurès, avec le soutien du centre de résidences artistiques La Lanterne.

Direction : Paula Barreiro López (Université Toulouse II – Jean Jaurès) et Anita Orzes (Université Toulouse II – Jean Jaurès)
Coordination : Noa Buffavand (Université Toulouse II – Jean Jaurès)
Comité scientifique :Paula Barreiro López (Université Toulouse II – Jean Jaurès), Nathalie Boulouch (Université Rennes 2), Elitza Dulguerova (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Olga Fernández López (Universidad Autónoma de Madrid), Tobias Locker (Saint Louis University, Madrid) et Anita Orzes (Université Toulouse II – Jean Jaurès).

Références bibliographiques utilisées

Alemani, Cecilia, “Introduzione / Introduction.” In Le muse inquiete. La Biennale di Venezia di fronte alla storia / The Disquieted Muses. When La Biennale di Venezia meets history. Venice: La Biennale di Venezia, 2020, pp. 25-27.

Arantes, Priscila, “O arquivo como dispositivo curatorial.” In História das exposiçoes. Casos exemplares, edited by Fabio Cypriano and Mirtes Marins de Oliveira, 99–124. São Paulo: EdUC, 2016, pp. 99-124.

Azoulay, Ariella. “Archive.” Political Concepts: A Critical Lexicon 1, 2010.

Azoulay, Ariella. Potential History: Unlearning Imperialism. London: Verso Books, 2019.

Baldacci, Cristina. Archivi impossibili: Un’ossessione dell’arte contemporanea. Milano: Johan & Levi, 2016.

Barreiro López, Paula, “Introducción. Modernidad(es) Descentralizada(s) en el Atlántico Frío.” In Atlántico Frío. Historias transnacionales del arte y la política en los tiempos del Telón de Acero, edited by Paula Barreiro López. Madrid: Brumaria, 2019, pp. 11-27.

Enwezor, Okwui. Archive Fever: Uses of the Document in Contemporary Art. Göttingen: Steidl; New York: International Center of Photography, 2008.

Ferguson, Bruce W, “Exhibition Rhetorics. Material Speech and Utter Sense.” In Thinking about Exhibitions, edited by Reesa Greenberg, Bruce W. Ferguson, and Sandy Nairne. London/New York: Routledge, 1996, pp. 126-134.

Fernández López, Olga, Exposiciones y comisariado. Relatos cruzados. Madrid: Cátedra, 2020.

Foster, Hal, “An Archival Impulse.” October 110, 2024, pp. 3–22.

Foucault, Michel. L’Archéologie du savoir. Paris: Éditions Gallimard, 1969.

Janša, Janez, ed. RE:akt! Reconstruction, Re-enactment, Re-reporting. Ljubljana: Aksioma – Institute for Contemporary Art, 2009.

Maiorino, Massimo; Mancini, Maria Giovanna; Zanella, Francesca (eds), Archivi esposti: Teorie e pratiche dell’arte contemporanea. Macerata: Quodlibet, 2022.

Mbembe, Achille. “The Power of the Archive and Its Limits.” In Refiguring the Archive, edited by Carolyn Hamilton, Verne Harris, Jane Taylor, Michele Pickover, Graeme Reid and Razia Saleh. Dordrecht: Kluwer Academic Publishers, 2002, pp. 19-27.

Merewether, Charles (ed.), The Archive. Documents of Contemporary Art. London: Whitechapel Gallery / Cambridge, MA: MIT Press, 2006.

Toccafondi, Diana, [lecture] In Archives and Exhibitions. Proceedings of the Second International Conference Archives and Exhibition. Venice: La Biennale di Venezia, 2014, pp. 175-187.



Image: Vue de l’exposition Le muse inquiete. La Biennale di Venezia di fronte alla storia , 2020.