Conférence Internationale
Solidarités transnationales et culture visuelle: Résistance et mémoires révolutionnaires de la Seconde Guerre mondiale à la guerre froide
Université Grenoble Alpes
24-25 juin 2019
par Jaime Vindel
La conférence internationale Solidarités transnationales et culture visuelle: Résistance et mémoires révolutionnaires de la Seconde Guerre mondiale à la guerre froide avait pour but de poursuivre la reconstruction cartographique des liens régionaux et internationaux forgés par la culture des non-alignés de la période allant de la fin du second conflit mondial à la chute du mur de Berlin. Les documents présentés ont relevé ce défi dans de multiples directions :
1. Ils ont défini une géographie relationnelle des différents acteurs artistiques, culturels et politiques impliqués dans cet espace transocéanique, en mettant l’accent sur le rôle d’événements tels que le premier sommet des pays non alignés (Belgrade, 1961), de projets tels que le Tricontinental, d’organisations telles que l’OSPAAL (Organisation de solidarité avec les peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine) et de nœuds géopolitiques construits autour d’États-nations comme Cuba ou l’ex-Yougoslavie (Bojana Piškur). Au fil des décennies, ces initiatives ont oscillé entre la génération de pôles de révolte politico-culturelle contre les récits et les blocs hégémoniques de la guerre froide, et la constitution d’un réseau institutionnel autonome parallèle au système artistique mondial.
2. Ils ont identifié la manière dont la circulation de la culture visuelle et révolutionnaire de la résistance fut re-signifiée dans les différents contextes dans lesquels les luttes de la période étaient inscrites (Megan Strom), avec un accent particulier sur les dissidences critiques qui se déployaient autour des mouvements critiques anticoloniaux, du Black Panthers Party à l’Autorité nationale palestinienne. À cet égard, le symposium a montré que les imaginaires de la capacité d’infiltration de la révolte élargirent le champ des pays non alignés au point d’imprégner les conflits politiques se produisant dans les géographies du Premier Monde comme les États-Unis, redéfinissant le sens que les « collaborations hémisphériques » prenaient pendant la Seconde Guerre mondiale (Fabiana Serviddio). Parmi les exemples discutés, citons l’inspiration tiers-mondiste des graphiques politiques en Californie du Nord (Émilie Blanc), la rébellion contre le colonialisme interne pratiquée par les mouvements des droits civils et la communauté chicano, la tentative de transférer le droit à l’autodétermination vers une reconnaissance de la souveraineté de Porto Rico, et la solidarité pro-palestinienne du « cinéma du réel » en Belgique (John Nieuwenhuys).
3. Par rapport au point précédent, la prolifération d’une culture visuelle commune avec un signe internationaliste fut combinée avec la matérialité plurielle adoptée par les différentes expériences analysées. Celles-ci vont de l’accent mis sur la qualité tactile des affiches produites pour être distribuées dans les magazines. Cela permit de composer une relation affective et communautaire entre les utilisateurs potentiels (Debra Lennard), à l’opérativité factographique de la littérature de témoignage, le troisième cinéma ou photomontage (Alejandro Pedregal, Olivier Hadouchi, Cristina Cuevas-Wolf), qui dynamita la rigidité des frontières entre fiction et documentaire, ainsi qu’entre avant-garde et réalisme, sur un arc chronologique allant de la fin des années 50 au début des années 70. Il faut ajouter à cela la capacité des entreprises artistiques non alignées à organiser des rencontres collectives qui réaffirment, à partir d’un travail sur le terrain et d’un pouvoir auto-instituant, les objectifs d’un art compris comme une pratique sociale du contexte (Juliane Debeusscher) ; ou à opter pour un modèle de « chorégraphie universelle » qui définirait – non sans contradictions – une esthétique de la solidarité autour de la danse (Stéphanie Gonçalves).Le lien entre la violence et la révolution en tant que partie de l’histoire, soutenu par Franz Fanon dans son livre Los condenados de la tierra (1961), se décline ainsi dans une série de pratiques qui oscillent entre l’exaltation de la guérilla armée ( résignée à travers de multiples associations, comme celle promue par le sandinisme avec la maternité et l’enfance (Laura Ramírez Palacio)) et sa traduction dans des contextes comme le Mexique sous de nouvelles formes de politisation de l’art (Miguel Errazu), qui coexistaient avec l’héritage de figures consacrées, comme David Alfaro Siqueiros (Irene Herner). La guérilla culturelle, pour reprendre la formule de Julio Le Parc, devint une façon de prolonger la révolution par d’autres moyens ; tout en accompagnant les projets de libération en cours, elle conçut également une association internationale de volontés artistiques qui, vers la fin de la période considérée, permit la réactivation de précédentes manifestations de solidarité autour d’événements tels que la Biennale de La Havane (Anita Orzes). D’autre part, si certains des projets politiques émancipateurs des années 1960 et 1970 furent partiellement étouffés par les dictatures militaires et les états de siège contre-révolutionnaires, ces réseaux culturels favorisèrent la création d’une politique de solidarité qui dénonça très tôt les crimes commis par ces régimes autoritaires, en faisant circuler des objets tels que les arpilleras chiliennes (produites par des femmes des quartiers pauvres de Santiago (Isabel Plante).